Voici un extrait d'un billet de Bernard Collot, publié sur son blog le 19 octobre 2014 suite à sa rencontre avec les semeurs d'école dans le Finsitère.
Il répond à la question : comment des enfants qui ont été à "l'école 3 type" peuvent-ils suivre au collège, notamment en histoire/géo, alors qu'ils n'ont pas "reçu" de cours en primaire ?
Les
profs du collège ne se sont jamais rendu compte que les enfants de
Moussac n’avaient jamais eu de leçons d’histoire ou de géographie, ni
fait de grammaire formelle et systématique.
Les
raisons en sont bien simples. La première, c’est que pour les autres,
ceux qui avaient appris pendant des années leurs leçons, il n’en restait
pas grand-chose ! Si nous prenons l’histoire, celle-ci n’est qu’une
reconstruction artificielle d’un passé collectif. Or, cela demande la
construction de langages (toujours mes fameux langages !) permettant les
représentations complexes d’un temps dont les repères ne sont plus
visibles ou ne pouvant être mis en relation avec un concret actuel (par
exemple un enfant peut assez facilement remonter au passé du grand-père
qui est toujours vivant, voire à l’arrière-grand-père qu’il peut situer
par rapport au grand-père, aux voitures qu’il n’avait pas, aux bougies
ou lampes à pétrole utilisées… Il reconstruit ainsi un temps). Il faut
aussi pouvoir mettre en relation des événements passés avec ceux du
présent (comment comprendre et situer la révolution de 1789 si on ne
peut faire la relation avec le chômage d’un parent, des manifs, les
raisons d'une contestation banale, ce qui se passe ailleurs,… si dans
l’école les enfants n’ont jamais été conviés à discuter pour prendre des
décisions comment peuvent-ils se représenter la démocratie, encore que
l’école traditionnelle pourrait très bien faire comprendre ce qu’était
la monarchie !).
Qu’est-ce
qui reste de ce que les enfants ont « appris » de l’histoire ? Un
Vercingétorix qui s’agenouille devant un César, un roi qualifié de saint
qui s’assoit sous un chêne, un autre qui à un numéro et qui enferme les
gens dans des cages, des gens en armure qui jouent à se trucider, des
gens sur des charrettes qui vont se faire couper la tête… une date et un
nom facile à retenir (1515 Marignan !) sans savoir pourquoi c’est si
important de le savoir (je ne le sais toujours pas !). Tout cela en
désordre. Un album d’Astérix en plus sanglant.
Dans
mon école, s’il n’y avait pas de leçons d’histoire à telle heure, les
occasions de se confronter au passé proche et lointain étaient
innombrables, la curiosité des enfants part dans tous les sens, toujours
imprévisibles, toujours provoquées par un concret qui lui est celui du
présent. C’est un langage (toujours, toujours des réseaux neuronaux à
construire !) qui permet la reconstruction d’un passé et d'un temps
particulier qui n'est pas mathématique, ce d’autant que le passé n’est
qu’une recréation de l’esprit, il est tout aussi virtuel que le futur et
dépend de la façon dont chacun le reconstruit. Que ce soit son propre
passé (quelques secondes après, tout événement est à recréer par le
cerveau avec ce qui s’est inscrit de façon informelle dans les réseaux
neuronaux), que ce soit dans un passé plus lointain avec ce qui est
resté inscrit dans des traces (monuments, écrits, objets…). Les
historiens qui reconstituent l’histoire différemment les uns et les
autres suivant les éléments qu’ils choisissent ou les mêmes qu’ils
interprètent le savent bien.
Au
collège, quelle est la principale capacité qui permet d’aborder
l’histoire ? Savoir lire ! Mais pas savoir lire pour répéter la chanson
produite, c'est-à-dire « apprendre puis réciter une leçon ». Savoir lire
c’est pouvoir extirper de différentes façons des informations couchées
dans des écrits qui eux-mêmes peuvent prendre différentes formes, les
mettre en relation, en déduire du sens, faire des rapprochements…
Il
n’est donc pas du tout étonnant que ces enfants n’aient pas eu de
problèmes particuliers avec l’histoire. Pas plus qu’avec la géographie :
non seulement ils étaient sans cesse confrontés et interpellés par
l’espace géographique de l’ailleurs par les échanges avec d’autres
classes, d’autres enfants, avec les voyages-échanges, avec les
explorations informelles de l’environnement proche, mais aussi parce
qu’ils pouvaient ainsi développer leurs capacités de représentations de
cet espace. Suivant comme chacun peut se le représenter, ce sont les
représentations qui créent de nouvelles informations, la géographie est
aussi une affaire de représentations à créer (exemple de la
cartographie). Une des principaux apports de Steiner est pour moi
celui-ci : si des enfants observent une fleur, ne la leur faite jamais
dessiner immédiatement, mais le lendemain… sans la fleur. Ce n’est pas
la reproduction de la fleur qui est importante (sa photographie exacte),
c’est la représentation qu’en ont faite les neurones, celle-ci pouvant
évoluer sans cesse et porte alors d’autres informations.
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